EROS et THANATOS
EROS <=> THANATOS
Création et destruction s’auto-contiennent.
« Une jolie fleur dans une peau de vache »
Georges Brassens
« Les deux principaux moteurs énergétiques qui font fonctionner l’artistique et exceptionnel cerveau de Salvador Dali sont, premièrement, la libido ou instinct sexuel, et secondement, l’angoisse de la mort»
Salvador Dali
Le cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde
Robert-Louis Stevenson – 1886
« Je suis l’esprit qui toujours nie !
Et ce à bon droit, car, tout ce qui prend naissance mérite d’être détruit.»
Faust – Goethe 1808
Le ver est dans le fruit.
A partir du moment où un effet se réalise dans le présent, cet effet meurt et disparaît immédiatement dans le passé pour ressurgir sous forme de cause d’un évènement consécutif futur.
«L’amour et la haine sont, en toute créature, imbriquées l’une dans l’autre et l’homme en porte les deux centres en soi.»
Jacob Böhme
Theosophische Werke-Amsterdam 1682
Eros est le dieu de l’amour chez les Grecs qui le considèrent comme une des forces constitutives du cosmos. Ils avaient en fait trois mots pour désigner l’amour. Eros d’abord qui est l’amour sexuel, le souci de se reproduire, qui a donné le terme « érotique ». C’est une recherche du plaisir procuré par l’union du mâle et de la femelle pour procréer. On considère finalement la jouissance sexuelle plutôt comme un but, en oubliant qu’elle nous a été donnée par la nature pour mieux nous inciter à perpétuer l’espèce. Cela rentre dans le cadre de la pulsion de vie qui pousse chaque espèce vivante à tout faire pour survivre, conserver et transmettre le patrimoine qui lui est propre. Le deuxième terme est « philia » qui signifie plutôt amitié et le sens d’avoir de l’affection, du goût pour quelque chose. Le philosophe est un ami de la sagesse. En dernier lieu, «agapé» est un amour désintéressé, proche de la charité.
Eros, désir amoureux, peut se sublimer. La pulsion de vie est, elle, instinctive. Chaque être vivant y est soumis inconsciemment.
Il est, par contre, très difficile d’admettre qu’une pulsion de mort anime le vivant au même titre que la pulsion de vie. Est-ce à dire que lorsque nous naissons nous sommes instantanément le jouet de ces deux tendances antagonistes ? En d’autres termes, la vie implique-t-elle la mort ? Comment se fait-il qu’un organisme puisse avoir, dès sa création, l’irrésistible envie de détruire, en particulier lui-même ? Chacun considère cela comme une erreur ou mieux, une horreur de la nature. On peut difficilement comprendre que le premier souhait d’un être est d’avoir la possibilité de s’autodétruire. Si on laisse une pomme de terre seule sur une planche, sans eau, sans engrais, sans rien pour subsister, posée dans notre environnement habituel, elle va, uniquement à l’aide de son contenu intérieur, germer d’une part et en même temps pourrir. Quelle est la force mystérieuse qui lui fait faire cela d’elle-même ? Il y a, à la fois, une pulsion de vie qui la fait germer en se nourrissant des réserves nutritives qu’elle a, elle-même, accumulées et une pulsion de mort qui la fait se détruire et pourrir, une fois manifesté le désir de reproduction. Qu’est-ce qui pousse un criminel sexuel à tuer sa victime en assouvissant son désir de jouissance ? Autre exemple : une onde passe son temps à se construire et à se détruire au bout d’un intervalle de temps donné et répété à l’identique. Le phénomène d’interférences est dû à une certaine superposition de deux ondes déphasées d’une demi-période. Cela peut être destructif alors qu’il est additif si les ondes sont en phase. Lorsque l’on sait que dans l’univers, tout est onde, on comprend cette alternance de vie et de mort, scandée par l’espace et le temps, qui a un effet de retard, d’hystérésis par la propagation de l’onde. S’il n’y avait pas l’espace et le temps, l’onde s’autodétruirait d’elle-même.
Un certain insecte pique les centres nerveux d’une chenille pour la paralyser et servir ainsi de repas à ses descendants qui vont éclore des œufs qu’il dépose à côté. Il meurt, cet acte accompli. La mante religieuse tue le mâle qui l’a fécondée.
Le monde entier est une pulsation rythmée de vie et de mort.
Thanatos est un mot grec qui personnifie la mort. Il est utilisé par Freud pour symboliser la « Todestrieb », la pulsion de mort, corrélative de la pulsion de vie «Lebenstrieb». Ces concepts lui sont venus en lisant l’article de Sabina Spielrein que nous commentons plus loin. C’est sans doute, elle, qui la première a exprimé clairement avec preuves à l’appui, la thèse que la pulsion de mort existe conjointement avec la force de reproduction.
Le dualisme moderne peut risquer une explication au fait que nous possédons en nous-mêmes cette envie de tuer au même titre que celle de créer. Peut-être y a t-il une volonté de détruire ce corps que nous n’avons ni désiré, ni voulu et qui nous a été imposé. Nous ignorons s’il y a une raison profonde à notre naissance. On ne sait d’ailleurs pas plus, pourquoi on meurt. On traîne notre « guenille » dans les aléas de l’existence en faisant en sorte que cela se passe le moins mal possible. Le simple « vouloir vivre » selon Schopenhauer nous anime sans raison et le «vouloir mourir» en est le pendant. On peut désirer abréger une vie apparemment sans intérêt.
Une autre hypothèse est que la naissance est une séparation comme celle de la mère et de l’enfant qui est comme une blessure que la vie individuelle ne panse pas. C’est la conséquence de l’action d’une force dispersive, négative, comme celle de l’expansion de l’univers. La mort réunit ceux qui s’aiment. C’est une force d’union, d’agrégation, comme la gravitation. Elle unit dans un bûcher final les cendres de la mort thermique de l’univers par la dégradation de l’espace et du temps.
Ces diverses considérations peuvent amener à l’idée dualiste que la pulsion de mort se manifeste pour rendre la vie à la paix, au calme, au repos éternel du néant. Tout l’univers tend à se retrouver dans la non-vie.
La douleur vient de ce que nous sommes, en naissant, libérés de notre origine et de l’océan du néant. Mais nous aspirons si fort à retourner d’où nous venons que cela nous élance dans l’âme.
L’ennemi est en-soi. C’est notre énergie amoureuse qui, d’une main de fer, nous contraint à faire ce que nous ne voulons pas ; on connaît l’issue, on éprouve le caractère éphémère de l’amour et cependant, on ne parvient pas à s’enfuir.
L’amour n’est-il que le point culminant et rien de plus? Est-il suivi par la haine qui s’exprime après avoir été contenue ?
Dans l’acte de procréation, la cellule féminine s’unit à la cellule masculine. En tant qu’unité à part entière, chaque cellule est réduite à néant et c’est de cet anéantissement que surgit une nouvelle vie.
Dans cette lutte de la vie et de la mort, il peut y avoir la volonté d’en finir avec l’absurdité de l’existence. La cellule vivante contient en elle-même le programme nécessaire pour se suicider. Il est inclus dans le mécanisme cellulaire et se déclenche plutôt collectivement par souci de la conservation de l’ensemble de l’organisme. C’est une manière de rejeter ce qui n’est plus utile ou nuisible. Dans ce cas le suicide est excusable. Pour l’homme il en est jugé autrement. Dans le mythe de Sisyphe, Albert Camus écrit :
« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie ». Il n’est plus question de l’utilité mais de décider de la vie ou de la mort par une réflexion sur l’absurde. Camus ne s’est pas suicidé. C’est donc qu’il avait trouvé des arguments suffisants pour survivre, comme la gloire littéraire par exemple. La mort volontaire n’est en fait qu’une forme de pulsion de mort. C’est une décision circonstancielle de s’autodétruire. L’heure de la mort arrivera, de toute façon nous ne sommes que des sursitaires. Il suffit de patienter. Il n’y a pas, là, de raison d’être pressé…
« L’homme a besoin de ce qu’il y a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il a de meilleur. »
Ainsi parlait Zarathoustra VI.319
Nietzsche
Intéressé par le sujet ?
Voir aussi le livre III La Mêmeté