Simulacre
« Le simulacre n’est jamais ce qui
cache la vérité, c’est la vérité
qui cache qu’il n’y en a pas.
Le simulacre est vrai.»
Jean Baudrillard 1981
Les séquestrés de la caverne
Avec son allégorie de la caverne, Platon veut montrer que ce que nous tenons pour réel, n’en est qu’un pâle reflet. Des hommes sont enchaînés depuis toujours sans pouvoir tourner la tête, au fond d’une grotte. Ils ne voient que les ombres projetées sur le mur devant lequel ils sont enchaînés. Les ombres sont celles d’objets qui ne sont que des imitations en bois ou en pierre des choses du dehors. Ces objets sont éclairés par un feu situé derrière eux. Cela ressemble à un théâtre de marionnettes qui s’agiteraient et dont les hommes enchaînés ne verraient que les silhouettes. En détachant un homme, celui-ci, habitué à l’ombre serait ébloui par la clarté du feu et considérerait que ce qu’il voyait auparavant était réel, aveuglé par ce qu’on lui disait être vrai. Mais il s’habitue et commence à distinguer ce qui lui a échappé jusqu’à présent, le soleil, la lune et les astres.
La contemplation des choses d’en haut, l’éloigne des simulacres de vie des ombres portées pour lui faire comprendre qu’au-delà du sensible trompeur, il y a un monde intelligible accessible à celui qui veut s’élever au-dessus de la mêlée des ignorants. Il parvient ainsi à l’Idée du bien qui est la cause de ce qui est droit et beau, de ce qui procure vérité et intelligence. S’il revient dans la caverne ses yeux sont alors victimes de l’opposition entre la lumière qu’il vient de contempler et les ténèbres qui envahissent la caverne. Les autres qui n’ont pas bougé, se disent qu’il n’est pas nécessaire d’aller au dehors si c’est pour revenir aveugle. Ils restent dans leur faux monde d’images qu’ils pensent être la réalité. Pourtant ils ont en eux la force d’apprendre et de s’apercevoir qu’ils sont dupés. Seul le sage possède en lui la capacité de s’élever au-delà d’un monde corrompu et de pouvoir accéder à la lumière du bien, mais il n’est pas compris.
Il est pourtant le mieux placé pour dire la vérité puisqu’il a séjourné comme acteur dans ce théâtre d’ombres où le virtuel se substitue à l’Idée, à quoi tout se rapporte.
Ce qui a conduit Platon à cette allégorie, c’est de montrer que le monde dans lequel nous vivons n’est qu’apparent et cache une réalité. Cela consiste à affirmer qu’il y a au-dessus et indépendamment, un domaine où séjournent les idées et les formes intelligibles, éternelles et parfaites régies par le Bien et le Beau. Les choses du monde sensible n’en sont plus de reflets instables et imparfaits. Les hommes sont ainsi enchaînés à leurs besoins immédiats qu’ils ne peuvent que partiellement satisfaire en partie par le mal. Le philosophe peut s’élever par la dialectique en faisant tourner sans fin questions et réponses étant attiré par la lueur inaccessible de la perfection et s’efforcer d’atteindre le milieu idyllique des Idées. Il est incompris quand il revient rejoindre ceux qui n’ont pas pu se hausser jusqu’à ces sommets.
On peut raisonnablement penser que notre époque se plonge de plus en plus dans le virtuel en restant ignorante d’une réalité sous-jacente. Les évènements se plaquent, image et son, sur des écrans bidimensionnels. Une procédure ésotérique permet d’y accéder. Il y a ainsi un univers totalement falsifié. Tout n’est qu’apparence, illusion de phénomènes purement synthétiques et fabriqués artificiellement.
Platon pensait que tout était d’origine géométrique à base de triangles, de polyèdres. Le dodécaèdre est constitué de douze pentagones se rapprochant ainsi de la sphère. Cela se rapproche de savants comme Galilée pour qui les mathématiques étaient le tissu dont le monde est fait.
Finalement quand on est plongé dans cet univers informatique qui occupe maintenant une bonne partie de notre existence, on s’aperçoit qu’en fait il est numérisé c’est-à-dire que son squelette est un ensemble fait uniquement de 0 et de 1. C’est ultra-simplifié mais cela reste quand même de l’arithmétique donc mathématique. Platon ne pensait certainement pas que son goût pour cette gymnastique intellectuelle, cet esprit de géométrie, se traduiraient par exprimer l’univers dans son entier par un seul couple, le plus simple possible, 0 et 1.
Peut-être en serait-il réjoui s’il venait à revenir parmi nous.
Cela nous pose la question de savoir s’il y a une réalité. Platon pensait que c’était le royaume des Idées à structure mathématique. Il fallait bien qu’il y ait eu quelque chose derrière le paraître de l’existence. Dans la thèse du théâtre d’ombres que soutient Platon, on peut envisager que les protagonistes jouent une pièce différente qui s’imbrique dans la première. Il est ainsi possible d’aller d’illusion en illusion jusqu’à complète extinction dans un process infini qui mène au néant dont tout provient. Le virtuel et ce qui est présumé réel s’y rejoignent et s’annihilent l’un l’autre.
Simulacre : désigne une apparence qui ne renvoie à aucune réalité sous-jacente et prétend valoir pour cette réalité elle-même. C’est le sens du mot grec eidôlon qui a donné idole en latin qui est traduit par simulacre par opposition à l’icône (eikôn) traduit par copie qui renvoie toujours à l’imitation du réel sans dissimuler celle-ci.