La mêmeté – Articles extraits du livre III
« Un élément de réalité implique
nécessairement la donnée
d’un certain nombre d’intervenants
associés à un système de relations
ou d’opérations caractéristiques. »
Préface au hors série « Les symétries de la nature »
de la revue Pour la science de Juillet 1998.
Gilles Cohen-Tanoudji.
« Qui se ressemble s’assemble »
La symétrie
Le concept de symétrie est de percevoir le semblable dans l’espace et le temps. Il n’est en fait que le constat d’une identité relative et il s’est avéré d’une très grande richesse dans de nombreux domaines de la connaissance. Originellement, symétrie signifiait rapport, mesure, proposition, harmonie. Par glissement sémantique, la symétrie est maintenant une propriété d’invariance. Elle est une transformation quelconque d’un objet qui le restitue supposé égal à lui même. Autrement dit l’objet n’est pas affecté par une opération appropriée. Il est apparemment indifférent à certaines modifications de son état. Comme tout concept, la symétrie est également définie par ce qu’elle n’est pas. A ce titre nous verrons que la dissymétrie a joué un rôle fondamental dans l’évolution de notre monde. Ce monde est bancal. Il va de guingois. Il boite alternativement d’un côté ou de l’autre, sans jamais trouver son équilibre. Seul le néant pourrait être parfaitement symétrique et toujours égal à lui-même.
Ce sont les brisures de cette hyper-symétrie qui constituent la texture de notre univers et qui font que l’on peut l’appréhender. Dans la sagesse orientale, la symétrie symbolise l’unité par la réunion des opposés. C’est le cas de la doctrine chinoise du Tao qui est l’unité des opposés Yin et Yang. Le référentiel est le point de vue subjectif d’un observateur. Est invariant donc symétrique par rapport à lui-même, ce qui n’est pas affecté par un changement de référentiel. Les propriétés se conservent alors indépendamment de cet observateur.
La symétrie parfaite, de même que l’identité parfaite, n’a aucune signification. Nous sommes dans un monde de la différence. Celle-ci ne peut apparaître lorsque tout se reproduit dans une similitude absolue qui ne peut être que la propriété du néant. Le monde n’existe que par ce qu’on appelle les « brisures » de cette symétrie. En d’autres termes, l’être ne s’est constitué que par des défauts de reproduction à l’identique. La phylogenèse est un bon exemple de reproduction à l’identique avec des mutations accidentelles qui survivent en s’adaptant au milieu environnant. Il faut ajouter à cela la reproduction sexuée qui donne un être dont le capital génétique vient par moitié du mâle et de la femelle, leur mélange étant totalement aléatoire. L’envie est grande de généraliser tout ce processus à une fusion de contraires ayant chacun évolué par erreurs successives. Le résultat de cette fusion donne un être unique. La probabilité que deux individus nés des mêmes parents soient strictement identiques est inférieure à 1 sur 70000 milliards. Si on ajoute les erreurs de reproduction du programme on obtient une invraisemblable diversité d’individus. La complexité apparente du monde peut ainsi s’expliquer par des erreurs de reproduction à l’identique, auxquelles il faut ajouter la réunion de contraires, le contraire n’étant qu’une similitude inverse. « Se répéter et s’opposer avec des défaillances « semble être le moteur d’action de l’évolution des choses. Le mécanisme fondamental est la symétrie, la similarité. C’est l’opération la plus simple et la moins onéreuse en énergie que l’on puisse imaginer puisqu’il s’agit stupidement de copier. Elle répond à la propension de la nature à tout faire pour minimiser ses efforts de manière à retrouver le calme et le repos dont elle est issue. La symétrie et ses brisures offrent à l’homme, tout aussi paresseux, la possibilité de découvrir toutes ses facettes en allant vers ce qui est facile, en empruntant les voies les plus aisées de la connaissance. La gnose se réduit, de la sorte, à rechercher le semblable derrière le compliqué et le confus. On peut conjecturer que nos moyens d’investigation sont basés sur les mêmes critères de répétition et d’opposition. Si tout est si simple comment expliquer qu’on ait mis des siècles à parvenir au stade actuel de nos connaissances ? Sans doute que tout nous a été communiqué dans un brouillage a priori inintelligible. Une vue synoptique de l’acquis nous permet maintenant de comprendre qu’il n’était pas aussi évident de s’y retrouver. Plongés dans le noir du début, il a fallu débroussailler à tâtons, pour voir apparaître petit à petit, à la lumière du savoir, des repères dans un inextricable fouillis.
L’importance prise par la symétrie et ses manques, dans la nature et les divers domaines de la connaissance humaine rend maintenant la structure apparente. On ne peut que constater que toute cette structure se réduit à la jonction entre des contraires, images de l’un et de l’autre, qui se modifient par le truchement d’une identité approximative, d’une copie quasi conforme. Comment justifier l’opposition? Elle est nécessaire à la reproduction. Il faut passer par elle pour aller vers l’identique comme un négatif pour une photographie.
La nature n’est pas capable de reproduire à l’identique une chose sans avoir examiné ce qu’elle n’est pas, ce que montre son inverse. Etre et non-être vont de pair. On ne peut envisager l’un sans l’autre. Une chose ne vaut que par ce qu’elle n’est pas. Ce jeu de miroir est nécessaire pour signifier ce qui est, dans sa totalité, en incluant ce qui n’est pas. On ne peut identifier quoi que ce soit sans mettre son contraire en vis-à-vis, afin d’obtenir la complémentarité et la complétude de ce qui est en question. L’image spéculaire nous donne une vision énantiomorphe de l’objet. Elle n’est pas superposable à l’original dans le monde où l’ensemble est considéré. Le renversement de l’image sur l’original ne peut s’opérer que dans un monde avec une dimension supplémentaire.
Lorsque des contraires coïncident, ils s’annihilent. Leur confrontation restitue le néant où la symétrie règne totalement. Pour retrouver l’original il faut deux opérations inverses qui se font dans des directions opposées.
Lors de ces opérations, des fautes de transmission peuvent être commises. Les contraires ne sont jamais purement identiquement inverses l’un de l’autre.
Un original n’est pas reproductible en lui-même. Il lui faut passer par la double inversion contraire pour se retrouver à l’identique sauf déformation par les incidents qui peuvent se produire lors de ces transformations. Répétons qu’une chose ne peut exister que par son contraire. Il n’y a pas de bâton avec une seule extrémité et des montagnes sans vallées. Dans la théorie dualiste le couple d’opposants est apodictique. L’un ne va pas sans l’autre. Le monde n’est qu’une complexe mixité de contraires qui s’entremêlent pour nous faire illusion. Le néant pourrait être l’aboutissement de leur rapprochement mais une éternelle valse d’attraction et de répulsion les agite pour ne pas y sombrer.
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